Les petits trésors de l'atelier II
En continuant les recherches dans l'atelier de Di Teana, on retrouve une série de 6 tableaux de 1 mètre de hauteur, qui représente le détail des scènes de la vie du Christ, vu par Marino di Teana.
Créé en 1952, les archives montrent ce thème développé dans le temps sur plusieurs œuvres ou projets, et conclu en 2008 par la réalisation de la porte monumentale en bronze de l'église Notre Dame de la ville médiévale de Saint Flour.
Mais POURQUOI l'artiste a-t-il choisi ces 6 thèmes ? Une vie "simple" : Le mariage de Marie et Joseph, l'Annonciation, le disciple au milieu de ses maîtres, le Baptême... puis la Crucifixion ? Quelles sont les références du choix de ces thèmes ? Pourquoi Di Teana intitule cet ensemble "la vida del sacrificado por justo ser" ? La traduction mot à mot n'étant pas aussi simple...
Aussi, Malika Vinot, Docteur en histoire de l'Art, Membre du Comité Marino di Teana, répond à cette question philosohique complexe et nous traduit la pensée de l'artiste, qui va bien au delà de l'histoire du Christ.
Anunciacion
La vida del Sacrificado por justo ser
L'Annonciation - dim 9,990 x 0,490 Olio pastel - M.di Teana 2002
El Matrimonio
Los padres del sacrificado por justo ser
Le Mariage de Marie et Joseph - dim 9,990 x 0,490 Olio pastel - M.di Teana 2002
Les scènes de la Passion du Christ - La vida del sacrificado por justo ser
Nacimiento del Sacrificado por justo ser
La Naissance - dim 9,990 x 0,490 Olio pastel - M.di Teana 2002
El disciplo en el medio de sus maestros
La vida del Sacrificado por justo ser
L'Elève au milieu de ses maîtres - dim 9,990 x 0,490 Olio pastel - M.di Teana 2002
El Baptismo del Sacrificado por justo ser
Le Baptême - dim 9,990 x 0,490 Olio pastel - M.di Teana 2002
El crucificado del Sacrificado por justo ser
La Crucifixion - dim 9,990 x 0,490 Olio pastel - M.di Teana 2002
LA VIE DU CHRIST
"la vida del sacrificado por justo ser» - « La vie du sacrifié d’avoir existé »
La personnalité et l’œuvre de Marino di Teana sont complexes et méritent d’être abordés avec une ouverture d’esprit nous permettant de dépasser nos propres conceptions ou préjugés sur des références aussi fortes que celles de la vie du Christ. Il existe dans la plupart des œuvres de cet artiste des sens cachés aussi mystérieux que profondément autobiographiques.
Aborder une série d’œuvres telles que « l’hommage à Frédéric II de Hohenstauffen » ou « La vie du Christ » chez cet artiste qui se considérait agnostique est particulièrement révélateur de ce processus de projection personnelle à travers des thèmes historiques ou culturels puissants. Il faut tout d’abord se souvenir que Marino di Teana était porteur d’un profond mysticisme depuis son enfance. À Teana il était bercé par des histoires locales de la vie du Christ qui ne voyageait pas en Égypte mais dans les montagnes de Basilicate telles que lui racontaient sa grand-mère. Lors de nombreux entretiens Il avouait facilement que « cet évangile imaginaire nous remplissait de joie, on sentait le Christ près de nous. À neuf ans, j’ai eu des crises mystiques, je voulais partir avec Dieu ».
Or c’est bien vers cette image d’un « évangile imaginaire », marqué par des récits anecdotiques et « terrestres » peu connus que se tourne l’intérêt de Marino di Teana quand il aborde la vie du Christ. Le choix même des thématiques abordées dans cette série en est particulièrement révélateur. Elle se compose de six scènes spécifiques dont cinq sont dédiées à l’origine et l’enfance du Christ.
-Le Mariage de Marie et Joseph
-L’Annonciation
-La Nativité
-Le Baptême
-Le Christ au milieu de ses maitres
-Et la Crucifixion.
Les quatre premiers thèmes sont directement transposables à la vie de l’artiste comme à celle de n’importe quelle famille catholique classique. Un couple se marie, la femme tombe enceinte (l’Annonciation pouvant correspondre soit métaphoriquement à la conception elle-même soit à l’annonce à la famille de la grossesse), le bébé nait puis il est baptisé.
Le thème du Christ au milieu de ses maîtres est aussi très intéressant si on le considère à partir du texte de l’Évangile de l'enfance selon Thomas, écrits apocryphes qui font directement écho aux histoires de sa grand-mère. Ces écrits retracent les miracles produits durant l’enfance du Christ et on peut facilement y voir des parallèles avec celle de l’artiste.
Ce texte début notamment par l’histoire du petit Jésus, âgé de cinq ans, qui jouait au bord d'une rivière, dirigeait des ruisselets obéissant à sa moindre parole et pétrissait des petites figures d’oiseaux avec de de la terre glaise. Dans la majorité des entretiens de Marino di Teana retraçant son enfance il se dépeint lui-même ainsi, à cinq ans, petit berger des montagnes, si occupé à contempler les mouvements et les reflets de l’eau de la rivière et à créer des petites figures d’animaux en terre qu’il laissait s’échapper ses moutons et se faisait gronder par ses grands-parents.
Le plus captivant dans ce parallélisme tient au caractère insouciant, affirmé, emporté et arrogant de Jésus, qui est incompris de ses pairs au point qu’ils sont obligés de se plaindre auprès de Joseph : « Avec un fils comme le tien, tu ne dois plus rester avec nous, dans le village, ou alors apprends-lui à bénir, au lieu de maudire. Car il fait mourir nos enfants. »
On peut aisément penser qu’un enfant à l’esprit aussi vif que Marino vivait lui-même régulièrement cette situation.
L’Évangile de thomas se poursuit ainsi : « Un maître d'école, du nom de Zachée, qui se trouvait dans le quartier, entendit ce que Jésus disait à son père. Il était sidéré qu'un enfant s'exprimât de la sorte. Peu de jours après, il aborda Joseph et lui dit : " Tu as un fils plein d'astuce et d'intelligence. Confie-le-moi. Je lui enseignerai ses lettres, et quand il les saura, je l'instruirai de toutes les sciences. Je lui apprendrai à saluer ses aînés, à les honorer comme des aïeux et des pères et à aimer les enfants de son âge. " »
Là encore, on peut faire un parallèle direct avec le petit Francesco qui ne pouvait pas aller à l’école à cause de son travail de berger mais avait été pris sous l’aile du maître d’école du village qui lui enseignait le soir à lire chez lui car il avait décelé ses capacités.
Mais au-delà de ses correspondances biographiques, cet épisode de Zachée à une forte résonnance esthétique par rapport à l’œuvre et aux théories de l’artiste.
L’histoire se poursuit lorsque Zachée tente d’enseigner toutes les lettres latines à Jésus mais que ce dernier le reprend sur le fait qu’il est important de connaitre la signification profonde de chaque lettre, en commençant par Alpha : « Apprends, maître, la disposition de la première lettre et remarque ses lignes droites et ce trait transversal qui les rapproche et les unit, tandis qu'elles se joignent en leur sommet. Le caractère de la lettre A se compose de trois signes, de même importance, de même qualité et d'égale mesure ». Pour toute personne familiarisée avec l’univers de Marino di Teana, vous aurez évidemment saisi l’allusion à la théorie tri-unitaire de l’artiste « 1+1 = 3 ».
La tirade de Zachée qui s’en suit nous en apprend encore davantage « Quel malheur et quelle pitié ! Je me suis couvert de ridicule en attirant cet enfant chez moi. Reprends-le donc, je t'en prie, Joseph, mon frère. Je ne supporte pas la sévérité de son regard ; je ne veux plus lui entendre dire un mot. Cet enfant n'est pas de ce monde. Il commanderait jusqu'au feu ! Sans doute a-t-il été créé avant la fondation de l'univers. Quel ventre l'a porté ? Quel sein l'a nourri ? Je l'ignore. Mais moi, mon cher ami, il m'étourdit, je ne peux suivre ses raisonnements. Je me suis trompé, oh, quelle misère ! Je cherchais un élève, j'ai trouvé un maître ! Oui, mes amis, j'avoue mon humiliation. Moi, un vieillard, me laisser battre par un gamin ! Il m'a ôté tout courage et je n'ai plus qu'une envie, mourir. Je ne peux plus le regarder en face. Quand tous diront que j'ai été dépassé par un bambin, qu'aurai-je à répondre ? Et que raconterai-je, sur les éléments du premier caractère, après ce qu'il en a dit ? Je ne sais, mes amis. Car de lui je ne connais ni le commencement ni la fin. »
Certaines de ces paroles renvoient de manière très directe aux réflexions cosmologiques de Marino di Teana et nous permettent d’affirmer l’importance de ses écrits pour Marino, mais aussi l’importance qu’il attribuait à l’idée de partager les savoirs et de ne jamais s’arrêter à ses propres connaissances, mais au contraire, de toujours essayer de les dépasser.
Quant à la dernière scène de la Crucifixion, elle est propre à de multiples explications. Tout d’abord, la série se nommant « la vie de Christ », elle s’achève avec la fin de son existence, marquant donc comme un point final. A l’inverse, si l’on considère la Crucifixion comme l’avènement du Christ à un niveau supérieur, elle marque le début d’une nouvelle étape, la promesse d’une évolution. En termes personnels, la crucifixion évoque aussi le sacrifice (comme le précise son sous-titre : « La vie du sacrifié d’avoir existé »). Un être qui n’a pas demandé à naitre et dont le destin lui échappe. On pense notamment au déchirement qu’a dû être pour Marino le fait de devoir quitter ses montagnes italiennes pour partir en Argentine en fuyant la guerre. La fin de l’enfance, et du monde tel qu’il le connaissait.
Malika Vinot.
Projets pour des portes d'église
Les deux versions picturales de la vie du Christ : Abstraction courbe de 1954, et abstraction géometrique des années 90.
La réalisation des maquettes en bronze, et de la porte monumentale en bronze Eglise Notre Dame, cité médiévale de Saint flour.
Le tympan représentant le Christ au milieu des 4 évangiles. Triangle Père Fils et saint esprit.
Fontes Ampire 1963 et Fusion 2008